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DUYTTER

Vu de loin, fugitivement, un tableau de Duytter pourrait ressembler à une image hyperréaliste, mais il n’en est rien si l’on se rapproche un peu. À ceux qui seraient tentés de comparer les vues urbaines de Duytter à celles de Richard Estes, par exemple, il serait facile de faire observer que ce dernier utilisait la photographie, dans les années 70, pour se saisir des apparences sans choisir en vertu de distinctions affectives ou hiérarchiques, comme l’a noté Denys Riout, mais en fonction de ses propres caractéristiques : vision monoculaire, temps suspendu de l’instantané, profondeur de champ, opposition entre netteté et flou. Les tableaux sur le thème des escalators reflétés dans des vitrines, qui firent fureur à la Biennale de Venise en 1972, méritaient bien l’appellation hyperréaliste qui exprimait la part d’excès de ces pièges à regard, « trop précis, trop brillants, trop lisses, trop décorporéisés pour ne pas provoquer le trouble ».

Rien de tel chez Duytter dont les observations à travers les villes (notamment Lille, New York, Moscou, Londres, Paris et enfin Rome où il a résidé récemment dans l’atelier Wicar prêté par la capitale du Nord), mémorisées par des photographies et des croquis, lui permettent de composer des images entièrement reconstruites, sommes d’éléments tirés du réel, mais profondément transformés par son imagination, puis combinés dans des compositions exclusivement déterminées par des impératifs plastiques. Je m’aperçois que ces caractères, parfaitement conformes à tout tableau de Duytter, par exemple le très beau Champs NYC de 2008, sont tout aussi exactement ceux qui conviennent pour évoquer les vues urbaines d’Edward Hopper. L’Américain n’enregistrait pas un paysage : il présentait sa quintessence, et l’effet de réel s’effaçait derrière l’essentiel : un effet de vérité, ce qui n’est pas du tout la même chose. Or c’est précisément à la nature archétypale des oeuvres de Hopper que se réfère volontiers Duytter, une nature qui avait fait dire à Lloyd Goodrich dès 1926 qu’il sentait là « une nouvelle vision et un nouveau point de vue sur le monde contemporain. » Ce n’est évidemment plus le même monde que regarde Duytter aujourd’hui, mais c’est toujours à une fascinante transposition de la réalité que parvient l’artiste qui nous livre un effet de vérité toujours impressionnant, parfois même subtilement émouvant. Mais l’essentiel, chez Duytter, au-delà de ses prouesses techniques respectives, c’est la poésie arrachée aux scènes urbaines apparemment les plus banales. Champs NYC, déjà cité, forme un diptyque avec After the rain, et ce n’est pas par hasard. Duytter nous rend sensible la poésie de la ville mouillée, où se multiplient les reflets dont il joue en virtuose. Duytter, qui ne copie jamais la photographie de départ, a posé un croquis sur un fond coloré, ce qui lui a permis de traduire l’atmosphère et de placer rapidement la profondeur ainsi que les ombres et les lumières.

« Ma façon de voir la ville transparaît sur la toile, la photo n’est plus alors qu’un vague souvenir » indique-t-il. « J’aime laisser apparaître des parties de croquis pour garder le côté spontané et ne pas tomber dans l’hyperréalisme ».

Tout est dit. Les feux rouges de la « réalité » peuvent devenir verts. Le jour finissant peut laisser place à la nuit et laisser survenir la poésie. Une poésie des villes qui peut nous rappeler à la fois celle d’Edward Hopper le peintre américain et celle de Georges Simenon l’écrivain belge, mais qui appartient d’abord à Duytter le peintre lillois, parvenu aujourd’hui, comme eux hier, à une forme d’universalité particulièrement attachante.

Jean-Luc Chalumeau, février 2011 (Critique d'art et Historien de l'art)

Duytter artiste engagé auprès de la fondation DigestSciences

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